Les accélérationnistes promettent un changement radical par l’intensification des processus en cours, quitte à provoquer le chaos. Une vision futuriste et optimiste du progrès ? La réalité, avouons-le, est bien plus trouble. Et nous mène aux confins du politique. On pourrait penser qu’il ne s’agit que d’une notion académique, déconnectée du réel. Détrompez-vous : ses échos résonnent dans des mouvements politiques bien concrets. Ariane Montclair.
L'accélérationnisme : quand la modernité s'emballe pour mieux démolir le présent

Qu'est-ce que l'accélérationnisme, sans fard ni effets de manche ?
Vous rêviez d’un jargon abscons ou d’une théorie inoffensive ? Sans vouloir froisser, l’accélérationnisme n’est ni l’un ni l’autre. Il s’agit d’une stratégie intellectuelle brutale : plutôt que ralentir le désastre, accélérer la cadence jusqu’à l’explosion. Le principe est enfantin mais terriblement corrosif : intensifier toutes les dynamiques sociales et technologiques, pousser le système à bout pour provoquer son effondrement — ou sa mutation imprévisible. Avouez-le, il fallait oser. On ne parle pas ici d’optimisme technophile béat mais d’un cynisme fondateur : si la maison brûle déjà, pourquoi ne pas y jeter de l’essence ?
« Accélérer le processus, c’est faire surgir un futur dont personne ne veut assumer la responsabilité. »
Anecdote : Lors d’un colloque à Londres en 2014, un intervenant osa résumer devant une assemblée consternée : « Ce que vous appelez crise n’est qu’une étape du plan ». Les rires furent rares…
Les racines philosophiques : entre Marx, Deleuze et Guattari, l'idée prend forme
Contrairement à ce que fantasment certains influenceurs de salon, l’accélérationnisme ne sort pas du chapeau d’un geek sous LSD au XXIe siècle. Ses germes remontent aux nappes phréatiques du marxisme — relisez Marx sans œillères et vous trouverez cette intuition : le capitalisme est auto-destructeur par excès même de ses forces. Marx entrevoyait déjà que « chaque progrès dans la productivité prépare aussi la ruine des anciens rapports sociaux » (sans passer par TikTok pour s’en convaincre).
Mais il faut attendre Deleuze et Guattari pour voir la chose se radicaliser avec brio : leur concept de déterritorialisation introduit une logique où les systèmes s’effondrent en s’amplifiant eux-mêmes ; leur fameuse « machine de guerre » n’a rien d’une galéjade théorique, c’est un mode opératoire insidieux. Que leurs idées soient réutilisées aujourd’hui pour justifier le chaos généralisé ? On aurait pu rêver mieux. Dialectique marxiste
Anecdote : En 1972, lors d’une discussion privée entre Deleuze et Guattari rapportée par un étudiant indiscret, ils auraient convenu que « tout système adorant sa propre vitesse finit par ne plus voir le mur arriver ». Morale non comprise par leurs épigones.
L'objet de l'accélération : le capitalisme, cet objet de désir et de répulsion
Sans vouloir froisser les esprits naïfs qui voient dans le capitalisme un aimable moteur de prospérité partagée : il est surtout depuis deux siècles une centrifugeuse démente. L’accélérationnisme identifie ce système comme cible principale — parce qu’il incarne par excellence ce qui avance toujours plus vite sans finalité autre que sa propre expansion (et destruction créatrice mesurée en licenciements et ravages écologiques). Pour certains accélérationnistes (parfois autoproclamés), il suffirait alors d’intensifier encore ces logiques pour révéler – ou précipiter – leurs contradictions internes.
Soyons honnêtes : on ne s’y trompe pas. Derrière des arguments technosolutionnistes ou anticapitalistes radicaux se cachent souvent des agendas ambigus voire franchement dangereux. Le capitalisme est à la fois monstre à abattre… ou créature dont on espère tirer une mutation monstrueuse plus rentable encore.
Au cœur de la machine : penseurs, concepts et manifestes qui font l'accélérationnisme

Nick Land et la Cybernetic Culture Research Unit : l'enfant terrible de la pensée accélérationniste
Sans vouloir froisser les nostalgiques des départements de philosophie aseptisés, rappelons que Nick Land n’a jamais eu pour ambition d’être rassurant. Animateur d’un chaos intellectuel au sein de la Cybernetic Culture Research Unit (CCRU) à l’Université de Warwick dans les années 90, il orchestre une fusion toxique entre cybernétique, science-fiction et philosophie continentale. La CCRU n’était ni un simple laboratoire ni un groupe universitaire poli : c’était un vortex où toutes les fixations sur le capitalisme comme force dévorante se retrouvaient exacerbées. Land y développe la thèse que le "techno-capitalisme" est une entité quasi-extraterrestre, autonome, dont l’objectif serait d’accélérer sa propre mutation jusqu’à échapper à tout contrôle humain – attraction morbide pour la singularité technologique, ce moment où l’intelligence artificielle outrepasse toute limite humaine.
Sans vouloir froisser, sa vision ne laisse aucune place au folklore humaniste : nous ne sommes que du carburant pour une machine qui s’auto-consume. Anecdote : lors d’une réunion privée au CCRU, il aurait déclaré que « le capitalisme n’a pas besoin de nous pour survivre ; nous sommes déjà obsolètes ». Charmant.
Nick Srnicek et Alex Williams : l'appel à un post-capitalisme décomplexé
Il fallait bien quelques esprits plus "modérés" pour tempérer cette fuite vers l’abîme. Nick Srnicek et Alex Williams, auteurs du célèbre "Manifeste accélérationniste", proposent une sorte d’émancipation par le haut : automatiser massivement le travail, redistribuer les richesses et dépasser les entraves du marché par le recours à la technologie. Leur programme ? Un post-capitalisme rationalisé, efficient (et passablement froid), où la technique devient l’instrument ultime de libération collective. On aurait pu rêver mieux qu’une société gérée par algorithmes et tableurs, mais avouez-le : leur lucidité sur l’impasse actuelle du capitalisme a réveillé plus d’un somnolent militant.
Laboria Cuboniks et le Xenoféminisme : une approche féministe et technologique
Si vous pensiez que l’accélérationnisme était réservé aux geeks nihilistes et aux technoprophètes désabusés : erreur fatale. Le collectif Laboria Cuboniks, avec son Manifeste Xenoféministe (Xenofeminism: A Politics for Alienation), propose d’appliquer l’accélération technologique à la déconstruction des normes de genre et à la libération des subjectivités. Il s’agit d’une politique qui refuse toute "pureté" identitaire ou naturelle – préférant hacker les codes sociaux via science, technique et automates. Sans vouloir froisser certains défenseurs du patriarcat en voie de fossilisation : voilà enfin une posture qui ose conjuguer technologie et subversion sociale.
Curtis Yarvin (Mencius Moldbug) : retour vers un futur dystopique ?
Curtis Yarvin (alias Mencius Moldbug) incarne quant à lui le versant franchement réactionnaire — osons le mot — de cet univers conceptuel déglingué. Fondateur du mouvement "Dark Enlightenment" ou NRx (Neo-Reaction), il défend sans détour une sortie autoritaire de la démocratie contemporaine : retour à des hiérarchies strictes sous gouvernance algorithmique ou monarchique (!). Sa logique ? Plus la société se complexifie, plus elle aurait besoin d’un pouvoir central fort et rationnel… On ne s’y trompe pas : c’est là que l’accélérationnisme rejoint ses penchants les plus toxiques.
Concepts clés : le lexique empoisonné de l’accélérationnisme
- Déterritorialisation : Perte ou explosion des anciens repères sociaux/politiques ; mouvement perpétuel hors des ancrages traditionnels (Deleuze/Guattari).
- Machine de guerre : Force disruptive créatrice opposée aux structures établies ; stratégie offensive contre tout ordre stabilisé.
- Singularité technologique : Point critique où les machines surpassent radicalement nos capacités cognitives – scénario qui fascine autant qu’il affole.
- Techno-féodalisme : Nouvelle forme potentielle d’oppression où domination économique passe par infrastructures techniques contrôlées par une élite numérique (Durand/Varoufakis).
Résumons sans fards : L’accélérationnisme n’est pas qu’un grigri universitaire — c’est bien plutôt un projet risqué qui rêve d’appuyer là où ça fait mal… au risque de tout faire exploser.
Critiques et mises en garde : pourquoi l'accélérationnisme nous donne des sueurs froides
La pente glissante vers le nihilisme et la destruction
Sans vouloir froisser les apprentis pyromanes de la théorie, il faut admettre que l’accélérationnisme flirte sans vergogne avec un nihilisme assumé : pousser la société à bout, quitte à saccager tout sur son passage, devient vertu cardinale dans cette vision. Benjamin Noys – qui n’a rien d’un réactionnaire apeuré – a finement pointé ce danger : lorsque la destruction se fait programme, les vulnérables trinquent toujours avant les puissants. Ce n’est pas ici une exagération journalistique : dans certains écrits de Deleuze ou Land, la passion pour « l’effondrement créateur » vire parfois à une apologie du chaos pur, sans plancher ni boussole morale.
« La stratégie accélérationniste prend le risque de sanctifier la violence comme unique moteur du progrès. »
On aurait pu rêver mieux que voir la souffrance sociale transformée en carburant d’expérimentations douteuses. Ceux qui s’en réjouissent oublient commodément que le désastre ne touche jamais les architectes du chaos – mais leurs cobayes.
L'hypocrisie d'une promesse de progrès masquant des intentions douteuses
Avouez-le, le vernis du progrès universel recouvre souvent des ambitions nettement moins nobles. Derrière les slogans sur l’émancipation technologique ou le dépassement du capitalisme, il s’agit surtout de prendre le contrôle par et pour une élite autoproclamée. On croirait lire un pamphlet contre le « techno-féodalisme » : nombre d’accélérationnistes rêvent d’un monde gouverné par algorithmes — pour le bien commun, naturellement (mais lequel ?).
Sans vouloir froisser, l’histoire révèle que chaque utopie technique cache sa part de calcul — parfois suprémaciste (la droite extrême ne s’y trompe pas) ou purement autoritaire.
Accélérationnisme : pensée élitiste ou appel à la révolte ?
La question mérite mieux qu’une pirouette dialectique. Historiquement infusé par Marx puis vampirisé par des universitaires branchés, l’accélérationnisme a tout du jouet réservé aux sphères intellectuelles déconnectées – capables de disserter sur la « révolution » depuis un amphithéâtre climatisé. Certains courants (e/acc techno-utopique) n’ambitionnent rien d’autre qu’une soumission consentie au règne algorithmique ; d’autres prétendent encore à une insurrection radicale contre l’ordre établi. On ne s’y trompe pas : derrière la façade révolutionnaire subsiste un fossé entre théorie et réalité sociale. Peu nombreux sont ceux qui misent véritablement sur une révolte populaire – trop risqué, trop imprévisible ; mieux vaut gérer le chaos depuis sa tour d’ivoire.
L'accélérationnisme, un horizon à interroger sans complaisance
Sans vouloir froisser ceux qui verraient dans l’accélérationnisme une expérience intellectuelle anodine, rappelons-le : il s’agit d’une force idéologique complexe, protéiforme et rarement innocente. Né du croisement sulfureux entre le marxisme, Deleuze et la fascination contemporaine pour la technologie, ce courant n’est ni monolithique ni inoffensif. Il s’insinue partout où le capitalisme vacille et, soyons honnêtes, ses différentes branches – de la techno-utopie au chaos réactionnaire – partagent un objectif commun : précipiter la mutation (ou la ruine) de nos sociétés. Refuser d’analyser ces promesses dangereuses avec rigueur serait faire preuve d’une naïveté coupable ; on ne s’y trompe pas, seule une vigilance critique face à ses ramifications multiples permettra d’identifier les impostures sous couvert de progrès.
Pour aller plus loin sur les courants critiques contemporains : Théories critiques contemporaines